Mot du jour : 안면홍조 (rougeur faciale)
En tant que blogueuse, quand je prends place face à mon clavier pour produire un texte destiné à être publié sur Internet, j'ai généralement le choix entre deux approches. Je peux faire le choix de partager une information que je considère utile, d'intérêt général. (Par exemple : l'adresse de ce super resto de nouilles où on a vraiment trop bien mangé l'autre jour.) Ou bien je peux considérer l'écriture comme un exercice aux vertus cathartiques et produire un rant post, autrement dit, un coup de gueule, dans le seul but d'apaiser une colère qui, qu'elle soit justifiée ou non, m'empêche de penser à autre chose. (Je peux aussi choisir d'écrire pour ne rien dire, mais bon, disons que c'est une catégorie à part.) Ceux qui me lisent régulièrement auront sans doute remarqué que les coups de gueule par chez nous sont rares. Et c'est peut-être un tort. Ce n'est pourtant pas l'envie qui manque de « prendre la plume » pour dénoncer certaines habitudes arriérées néo-confucianistes par exemple, ou encore tel autre aspect de la vie coréenne qui nous irrite au plus point (les coréens au volant, pour prendre un autre exemple. Nous reviendrons sur ce délicat sujet.)
Après des mois de silence, on se doute bien que la motivation derrière ce texte d'aujourd'hui joue une part importante dans le choix de l'approche. Je vous avoue qu'au départ, j'étais bien partie pour intituler ce billet « Comment j'ai bousillé ma peau en Corée ». Mais la raison s'est entretemps manifestée. D'où ce message hybride, à mi-chemin entre catharsis et avertissement. Bon. Après cette réflexion sur la genèse des articles de blogs, entrons maintenant dans le vif du sujet.
Ce mot du jour, 안면홍조, est nouveau pour moi. Voyez-vous, je reviens d'une visite chez le dermatologue. Cela fait 7 ans que je suis en Corée. Cela fait donc aussi à peu près 7 ans que j'utilise des produits cosmétiques coréens. Ma routine quotidienne qui consistait initialement en 2 modestes étapes, a progressivement évolué vers un rituel complexe requérant toujours plus de produits et de soins. La reprise d'un travail, il y a trois ans, y est pour quelque chose. Il a fallu que je réapprenne à soigner mon apparence et que je me résolve à accorder aux dépenses Beauté un budget toujours plus conséquent.
J'aurais dû me méfier dès les premiers picotements. Mais Monsieur Choi a balayé mes inquiétudes d'une remarque à la logique irréfutable : « si ça pique, ça veut dire que ça travaille. » Autrement dit, il faut que ça pique pour avoir la certitude que ça marche. Une pensée bien coréenne, ça. Il faut que ça fasse mal pour que ça fasse du bien. Alors j'ai continué à me badigeonner de toner, d'émulsion, de sérum, de crème... Et puis une rougeur s'est installée. Alors j'ai changé de marque. Je me disais qu'à force de tester, j'aillais bien finir par tomber un jour sur une gamme de produits à laquelle ma peau n'allait pas réagir si vivement. Lacvert, Isa Knox, Iope, Espoir, The Saem, Skin Food, TonyMoly... et j'en oublie. Rien à faire. La rougeur persistait. J'ai donc investi dans une CC creami bien blanche, qui donnait l'illusion d'un teint relativement uniforme. Pendant une demi-journée du moins.
Le jour où cela a fait tilt, ma belle-sœur était restée dormir chez nous. Le lendemain, je lui montre les produits à sa disposition et au bout d'un moment, elle sort de la salle de bain d'un pas hésitant.
- Dis-moi, ta CC cream, elle n'est pas un peu trop blanche ?!
Je suis sans voix. Comment ? Une coréenne ? Se plaindre de la blancheur d'une crème ?? Si vous connaissez un peu les coréennes, vous savez à quel point elles chérissent le teint blafard. L'ombrelle, objet désuet en Europe, n'a pas disparu de la vie quotidienne en Corée, bien au contraire. Cet accessoire est indispensable en été. Tout comme les coiffes à visière (4 700 W le modèle à pois ci-contre) et les manches protège-soleil.
Pour qu'elle trouve cette crème trop blanche à son goût, c'est que vraiment, quelque chose ne va pas avec mon teint. (Ou avec mes yeux. Ou les deux.) Bref. Je rends visite au dermato, décidée à mettre un terme à l'agonie de mon visage qui semble piquer un fard en permanence.
Hep là, je vous vois, avec votre air dubitatif ! Les coréennes ont une peau sublime ! De quoi parle-t-elle ?! Les cosmétiques coréens, nocifs ?! N'importe quoi !
Oui. Moi aussi, j'étais convaincue faire du bien à ma peau en adoptant les habitudes des femmes coréennes, au teint si délicat, à l'épiderme si fragile. (Vous savez ce qu'on dit : à Rome, faites comme les Romains.) Elles-mêmes vous affirment d'un air résigné : « On ne peut pas s'exposer au soleil vous savez. Notre peau ne le supporte pas. » Les grands acteurs du marché des cosmétiques ont bien réussi leur lavage de cerveau.
D'abord, les peaux les plus à plaindre sur cette terre sont les peaux blanches. Ne l'oublions pas. Bronzer est pour nous autres visages pâles un exercice risqué, périlleux, qui requiert un subtil dosage de crème solaire et de temps d'exposition au soleil. Une équation impossible à résoudre car trop de variables entrent en jeu. (Caractéristiques réflexives de l'environnement dans lequel le sujet se trouve au moment de la séance, pourcentage de sang latin coulant dans les veines de l'individu, et j'en passe.) Avez-vous déjà vu un coréen avec un coup de soleil ?ii Leur peau brunit, certes, mais elle ne rougit pas. Du moins, pas autant que la notre. Donc, si on accepte le fait que la peau des coréens soit plus apte à encaisser les UV, pourquoi n'en serait-il pas de même avec les produits cosmétiques ? Après tout, ces produits sont fabriqués pour le marché asiatique. Ils sont adaptés aux peaux du coin.
D'ailleurs, dès qu'il m'a vu, le dermatologue m'a donné la consigne d'arrêter toute crème sur le champ. Seul produit autorisé : la vaseline. (Heureusement que nous sommes en vacances et que mes sorties sont par là même limitées.) Deuxième semaine : pommade. Et au bout de 15 jours, le verdict tombe : légère amélioration, certes, mais la rougeur est bien incrustée.iii Alors si je souhaite retrouver un jour une peau à la teinte « normale », il ne me reste que l'option laser. Coût du traitement qui dure 6 semaines : 790 000 W (plus de 500 EUR donc).
De retour chez moi, je me lance dans mes petites recherches google et tombe sur des jolis mots mais qui sonnent quand même un peu vilain : rosacée, couperose, érythrose faciale... Doctissimo parle du problème et signale les facteurs à éviter pour ne pas aggraver les symptômes, dont a) la consommation d'épices (adieu kimchi chéri) b) les plats très chauds (donc quasiment tous les plats coréens, à l'exception des nouilles froides) c) les variations brutales de températures (fini le jjimjilbang) d) l'alcool. OK. Je sens que ma vie en Corée risque désormais d'être beaucoup moins fun.
Avant de conclure, un petit échantillon des protestations que vous êtes en droit d'émettre :
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J'utilise des produits coréens depuis un moment déjà, et je n'ai constaté aucune réaction indésirable...
Excellent ! Vous avez sans doute une peau moins sensible que la mienne, moins blanche (mon père avait la peau de Blanche-Neige, un comble pour un breton). Mon expérience n'est représentative de rien du tout. En aucun cas faut-il en conclure qu'il vous arrivera la même chose si vous utilisez des cosmétiques made in Korea. On a tous un héritage génétique différents, des peaux différentes qui réagissent donc différemment à divers produits et soins. Cela dit, soyez vigilant(e). Les réactions ne sont pas toujours immédiates.
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Ne faudrait-il pas consulter un autre dermatologue pour avoir un second avis professionnel sur la chose ?
Absolument. C'est aussi mon intention. Mais au vu des photos et des témoignages glanés ça et là (et qui reflètent précisément mon cas), je ne me fais guère d'illusion.
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Vous n'avez pas testé tous les produits cosmétiques en Corée. Il y a surement une gamme quelque part qui soit adaptée aux peaux blanches et sensibles.
Je veux bien vous accorder le bénéfice de ce doute. En revanche, il va falloir lancer un appel à volontaires car je crains en avoir bel et bien fini d'expérimenter.
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Vous semblez avoir une peau particulièrement sensible. Peut-être qu'à la longue, elle aurait réagi de la même manière aux cosmétiques français. N'est-ce pas injuste de stigmatiser ainsi les marques coréennes ?
En effet, on peut imaginer mille scénarios et arriver systématiquement à cette même conclusion : c'est ma peau qui est en défaut et non les produits que j'y applique matin et soir. J'ai souvenir d'une rougeur similaire après avoir testé une crème Sisley qui contenait des huiles essentielles. Etait-ce la marque ? Etait-ce les huiles ? J'ai également un plus lointain souvenir : celui d'avoir fait une réaction allergique au roaccutane, produit prescrit pour traiter l'acné. Efficace certes, mais qui, d'après les témoignages que j'ai pu lire, entraine parfois comme effet secondaire l'apparition de la couperose... Donc oui, maintenant qu'on y pense, on constate que la prédisposition joue son rôle. Quoi qu'il en soit, je commence à comprendre pourquoi ma mère n'a jamais utilisé qu'un seul produit pour son visage et m'en vais de ce pas faire le plein de Nivea. Quant à l'injustice de mon verdict vis-à-vis des marques coréennes : je ne leur fais aucun procès. Je reste persuadée qu'elles peuvent être très efficaces, à condition d'avoir la peau faite pour.
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500 EUR le traitement au laser de 6 semaines ? C'est plus que raisonnable !
Ah oui ? Je ne connais pas les tarifs pratiqués en France, mais si vous le dites...
i Non, ce n'est pas la même chose qu'une BB Cream. Ou bien...?
ii Bon. J'avoue que Monsieur Choi, qui travaille parfois dehors, est déjà rentré à la maison bien cramoisi. Mais dès le lendemain, le coup de soleil se mue invariablement en bonne mine.
iii« Incruster » n'est sans doute pas le mot qui a été employé par ce professionnel de la peau mais c'est ainsi que j'interprète le petit schéma qu'il m'a dessiné et sur lequel il m'a indiqué la coloration anormale, localisée sous deux couches d'épiderme.